samedi 8 février 2014

Des trois royaumes aux deux Corées











 > Le 17 septembre 1996, un submersible nord coréen s'échoue sur des rochers près de Gangneung en Corée du Sud. L'échec d'une mission qui devait permettre la récupération d'un commando infiltré en espionnage sur une base aérienne. En moins de temps qu'il ne faut pour le dire, 11 des 26 marins sont exécutés par leurs camarades, des documents compromettants brûlés et le reste de l'équipage, y compris le commando, en fuite sur la terre sud-coréenne. Il faudra 53 jours de chasse à l'homme impliquant 40 000 soldats sud-coréens, la mort de 16 sud-coréens dont 4 civils pour tourner la page de cet « incident ». Vingt-quatre nord-coréens sont morts dans l'opération, un capturé, un seul restera introuvable.
Ce qu'il reste de cet épisode finalement pas si incroyable de la guerre du Crabe ? Le navire. Exposé à côté d'un frère ennemi, navire de guerre de fabrication américaine utilisé lors de la guerre de Corée. Emouvant « Unification Park » de Jeongdongjin sur la Mer de l'Est, gardée par des soldats armés jusqu'aux dents.

Il reste aussi, encore et toujours cette guerre du Crabe. Des provocations sans fin majoritairement en mer Jaune pour des droits de pêche et des différents territoriaux sur quelques îlots. Une déclinaison maritime d'un affrontement fratricide allant jusqu'à la menace nucléaire bien réelle de l'an dernier et jusqu'à l'incertitude encore grande sur les intentions du jeune dirigeant nord-coréen, notamment après l'assassinat de son oncle possiblement plus modéré et après son appel à la préparation de son armée à une guerre imminente.

Unification

Quand on visite à l'extrémité Nord-Est de la Corée du sud l'ancienne villa de Kim Il-Sung, premier dirigeant de Corée du Nord et grand-père de l'actuel dirigeant Kim Jong-Un, on sent que les crispations ne sont pas prêtes à s'éteindre. Une exposition virulente contre le régime communiste, à la hauteur de ses exactions, et une conclusion sans appel : « Aujourd'hui rien n'a changé. Toujours des provocations de la part des Nord-Coréens ». Juste à côté, la villa de Syngman Rhee, le premier président de la Corée du Sud. Toutes les deux ont vue sur la baie de Hwajinpo, comme pour prouver à quel point les destins des deux Corées ne sont qu'un. Au-delà des barbelés et des baraquements tentant de verrouiller la côte, se profile une attirance irrépressible pour l'autre bord.

Le long de la DMZ, ou zone démilitarisée, imposée par l'armistice de 1953, s'élèvent des tours d'observation où peuvent se rendre les coréens. Pour ne pas perdre contact, visuel et lointain, avec ceux qui sont restés de l'autre côté. Des familles ont été séparées et les rencontres ne peuvent être qu'épisodiques et soumises aux aléas des agendas politiques. Du côté de la mer de l'Est, « Goseong Unification Observatory », à 12km de Hwajinpo, du côté de Séoul « Odusan Unification Observatory », le point le plus proche de la Corée du Nord qu'un sud-coréen puisse espérer approcher. Les étrangers, moyennant le paiement d'un tour organisé, peuvent se rendre à l'intérieur même de la DMZ observer des soldats se regarder en chiens de faïence. J'aurai décidé de boycotter cette entreprise commerciale établie sur une si désastreuse querelle familiale.

Trois royaumes

Il est pour moi étrange de lire partout cette référence à l'unification. Bien sûr, le mythe ultime de tout coréen se réalise en l'utopie du royaume unifié et prospère de Silla, du 7e au 10e siècle, période de gouvernement unique de toute la péninsule coréenne, moins quelques troubles au Nord. La plupart des coréens idéalisent bien évidemment cet âge d'or de leur civilisation.
Pourtant, dans leurs discours, pointent encore la partition de la péninsule en trois. Etonnant pour une visiteuse familière de l'opposition Nord-Sud uniquement.

Ce monsieur si tolérant rencontré en « Templestay » m'aura bien étonnée en me parlant pour la première fois de l'inimitié Est-Ouest. « De l'Est viennent tous nos présidents, la zone est bien entendu favorisée. J'en viens et comme tous ses habitants, je ne me sens pas proche des habitants de la partie Ouest de la Corée. En réalité, nous nous en méfions ». Plus tard, une des nombreuses jeunes filles que j'aurai eu la chance de côtoyer en Corée me tiendra un discours similaire, encore plus chargé. « Les gens de Jeollabuk-do, de l'Ouest, nous les haïssons ». Des mots extrêmement violents. Qui heurteront ma sensibilité, venant de personnes si ouvertes à l'étranger et qui m'auront offert leur confiance et leur chaleur. Serions-nous finalement en présence des reliques des trois royaumes de Corée, Silla à l'Est, Baekje à l'Ouest et Goguryeo au Nord ? Que faut-il voir donc dans tout cela ? La peur de l'autre, d'une part de soi, aussi, puisque les destins et les histoires familiales sont inextricablement entremêlées en Corée.

Espoir

A l'Institut français, la jeune Eun-Ju Kim raconte son « évasion » de la Corée du Nord vers la Corée du Sud. Neuf ans pour fuir l'enfer, la famine qui avait tué son père. Vendue à un paysan chinois lors de sa première escapade, emprisonnée dans un camp de rééducation, elle parvient enfin à s'échapper par le désert de Gobi et à rejoindre Séoul. La vingtaine souriante, elle y finit ses études. Le journaliste français, Sébastien Falletti, qui l'a aidée à écrire son histoire se veut optimiste. « Je voulais raconter une histoire d'espoir, montrer que la Corée du Nord, ce n'est pas que du glauque. C'est aussi une énergie formidable, comme celle de Eun-Ju », explique-t-il en préambule de l'intervention de Eun-Ju. Passée certainement par les classes de réadaptation au capitalisme de Séoul, consciente du gouffre qui sépare les deux Corées et du défi économique qui rend frileux nombre de sud-coréens et aussi de nord-coréens exilés savourant leur nouvelle prospérité, elle ose parler, elle aussi de cette unification. Qu'elle souhaite de tous ses vœux.

Photos : Jeongdongjin, Hwajinpo -plage militarisée, vue depuis et du chateau de Kim Il-Sung, intérieur de la villa de Lee Gibung, ancien vice-président de la Corée du Sud, villa de Syngman Rhee










Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire