samedi 22 mars 2014

Epilogue

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 > 353 jours de voyage, du 29 mars 2013 au 16 mars 2014. Vingt-cinq pays, un peu plus de 50 000 kilomètres parcourus. Un contrat passé avec la croûte terrestre presque honoré puisqu'il n'y aura eu qu'un vol, un saut de puce entre deux espaces voisins, Taïwan et Okinawa.

Faut-il le rappeler, nous voulions faire de ce périple une déambulation terrestre ou maritime, éviter les airs qui décousent les liens et écrasent les subtiles nuances que l'on ne sent qu'en glissement entre cultures voisines.

Nous aurons effleuré ce qu'il y a de similaire et d'essentiel entre pays limitrophes, ressenti que parfois les cultures effectuent des sauts aussi et s'adressent des clins d'oeil d'au-delà des mers, découvert qu'en voyageant de la sorte on finit par ne plus être dépaysé. Par se sentir pleinement portés et vivants par et de cette Eurasie qui nous a donné naissance.

Nous aurons fait du déplacement et du mouvement le fait même de l'existence, avec un peu plus de 10 % de notre temps passé dans des bus, trains ou bateaux. Plus d'un mois en tout, plus de 2h par jour en moyenne. Des moments inimaginables pour les presque sédentaires que nous étions. Nous aurons croisé plus fous que nous, tels ces nomades à vélo, sacs sur le dos, seuls jusqu'au bout du continent, ou encore cette lorraine à pied pendant 10 ans dans le monde avec 2 euros par jour et un âne.

Nous aurons accepté les largesses de l'espace comme de ses occupants, ces dizaines de rencontres si cruciales que l'on ne peut comprendre qu'en sachant qu'un jour nous aurons nous aussi beaucoup à donner. Nous l'avons déjà fait en route, je l'espère. Merci à vous qui lirez ces lignes et qui vous reconnaîtrez. Thank you.

Clartés

Devient-on voyant en examinant de la sorte le monde ? Certainement pas immédiatement. Les choses ne s'éclairent pas, elles se densifient au contraire. L'épaisseur de la route se dévoilera sans doute à nous pendant encore longtemps.

L'enjeu réside dans l'après bien sûr. Revenir à sa terre, c'est devoir affirmer de nouveau très haut son individualité. En voyage, l'unicité et la différence vont de soi. Il y a quelque chose de rassurant peut-être à retrouver l'anonymat mais cela ne saurait être qu'un leurre. Cette puissance de soi ne saura plus s'éteindre.

Il apparaît en route des événements qui ne pouvaient éclore ailleurs. Une séparation sans doute.Se sent-on armé après tant de chemin parcouru pour affronter cette euthanasie, ce regard fatalement nostalgique porté vers un avant où le mal ne pointait pas encore sous les apparences de la pleine santé ? Peut-être pas mais il ne peut s'y trouver aucune violence car l'on est apaisé.

« Derrière le nuage, qui nous jette son ombre, il y a l'étoile, qui nous jette sa clarté. Nous ne pouvons pas plus nous soustraire à la clarté qu'à l'ombre ». Victor Hugo, Quatrevingt-treize.

Photos : Bontès, Le Fugeret, Alpes de Haute Provence, chute du voyage












samedi 8 mars 2014

Natasha et Alina

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 > Mercredi 26 février. Elles ne sont pas compagnes, elles sont « frères ». Elles s'envoient ainsi du « брат  » à longueur de journées et cela leur colle à la peau et en suinte avec toute la sensualité qui s'échappe de l'une, de sombre vêtue, et de l'autre, couleurs vives.

Elles ont peut-être vécu une romance, « mais la relation, ça vous vide et nous avons besoin de nous remplir », tentera de m'expliquer, en français, Natasha. Elles ont chacune leur « femme ». « Je n'aime ni les hommes, ni les femmes...sauf une », confie Alina. Entre elles deux donc, la photographie, bien sûr, énorme, omniprésente, inévitable, évidente. Le goût de l'ailleurs aussi. A Paris, elles ont leur tanière, un antre dont le propriétaire nonagénaire leur semble vivre ses derniers instants à chacun de leurs passages et qu'elles craignent de ne plus retrouver au suivant. La chambre n°9. Une chambre dont ne peuvent même plus rêver les parisiens. Elle ne pouvait être que la leur.

« Je suis femme puisque je suis mère », se convainc Natasha les jours où elle veut mettre en avant sa féminité, jupe trapèze et large pull-over, sombre encore. Une femme mariée, avec German, dont la route s'est trouvée coïncider avec la sienne dans le sillage d'Heidegger. « Nous avons parlé d'Heidegger, pas d'amour. Puis nous nous sommes mariés. C'est important pour Leon, qui nous a choisis comme parents. Aujourd'hui, nous sommes comme frère et sœur, meilleurs amis, sur ce même chemin ».

« Pour prendre des photos, tu dois d'abord voir des films, lire. Pour nous, Sartre, Camus, l'existentialisme, sinon tu finis toujours par parler de technique et d'objectifs ! » Les journées avec elles vont des matins photographies, à admirer la lumière des clichés de Gueorgui Pinkhassov, en paresseux après-midi à la voix gutturale d'Alla Pougatcheva, pour s'éteindre en soirée Tarkovski, sans sous-titres. Comme si une journée où l'on ne frémit point d'émotion était perdue.

Au milieu court Leon bien sûr. L'occasion de quelques parties de billard avec une autre Natalia, mère d'une de ses camarades, pendant ces heures de loisir que s'accordent ces femmes en déposant leur descendance au théâtre -l'école ne commence en Russie qu'à sept ans. « Cela fait aussi partie de mon travail de mère ! », s'amuse Natasha. Une parenthèse hors du temps, au loin de la lumière pendant les heures les plus claires de la journée, avec autour de nous des gamins aux airs de croupiers.

Alina et Natasha se gaussent des hipsters qui rôdent dans le centre de Moscou, feignant d'ignorer qu'elles en sont. Apolitiques, même si au passage du Kremlin Alina me lance : « It's here that lives our fucking P...... ». Elle a trouvé « La vie d'Adèle » absolument dégoûtant, « quand tu as tout vécu de l'amour avec les femmes comme moi, tu sais que l'amour -pas le sexe, l'amour-, ça n'a rien à voir avec cela ».
En septembre, elles ont vite été lassées de l'énergie dégagée par les clichés du festival de photojournalisme de Perpignan. Les images de guerre, le militantisme n'atteignent pas l'univers où elles gravitent. Elles ont préféré, encore une fois, tailler la route. Quelques heures d'attente de trop peut-être pour un auto-stop et finalement Barcelone.

Bientôt Paris, comme une amante qu'on ne quittera jamais. Je vous attends pour Cartier-Bresson.

Photos : Moscou, Natasha, Alina, Natalia, German et Leon

Nous avions rencontré Natasha et Leon à Tbilissi sur le chemin aller de notre périple. Pour moi quelque part, le retour s'achève ici, à Moscou, chez elle.
Les photos qui parlent le mieux de Natasha et d'Alina étant bien sûr celles d'Alina et de Natasha, prises au cours de leurs nombreux voyages toutes les deux, voici ce qu'elles ne veulent en aucun cas considérer comme des travaux de photographes mais comme des moments immortalisés de leurs vies de frères.
Pour découvrir leurs travaux, pour de bon, allez ici et .

Photos : Natasha et Leon par Alina, Alina par Natasha, la chambre n°9




jeudi 6 mars 2014

A défaut de brise-glace

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 > Dimanche 9 février. Puisqu'il a été récemment question de transports, je ne peux qu'exécuter un léger bond en arrière pour évoquer la traversée Corée-Russie. En bateau bien entendu.

Au moment de fantasmer ce voyage, quelques mois avant le départ il y a de cela maintenant un an, j'idéalisais le retour sur un cargo. Pas n'importe quel cargo. Cette nouvelle route commerciale dite « du nord », frayant de la Corée du Sud à Mourmansk par le froid Arctique. Un de ces navires escortés ou plutôt devancés par un brise-glace nucléaire russe. Lâche peut-être, je ne pris pas même le temps à Séoul de vérifier que la saison n'était pas assez avancée, comme je pouvais légitimement le craindre, pour embarquer sur un tel vaisseau dont la navigation ne peut se concevoir qu'à la débâcle.

A défaut de brise-glace donc, j'embarquais sur un simple ferry Sokcho-Zarubino. Presque 24 heures de traversée, de la tempête de neige coréenne au froid bleu sibérien. Avec quelques glaçons à l'arrivée tout de même.

Photos : Sokcho, Zarubino