mercredi 19 février 2014

Ces indomptés partis « dominer l'Est »









 > Lundi 10 février. Il arrivait à Tourgueniev de les qualifier d'indomptés, les Cosaques. Ce peuple multiforme dont l'origine conserve encore une part de mystère, dont la fonction de combattants et d'aventuriers a longtemps prévalu sur les liens du sang. Ce sont eux ma plus belle découverte de Vladivostok.

Une ville

Arriver à Vladivostok, dont le nom signifie «dominer l'Est », ville ultime du transsibérien, qui plus est pour ma part en porte d'entrée et non de sortie, exige de se laisser fouler un mythe. Qu'en attendre de plus que ce que ce nom convoie d'extrême-oriental et presque d'occulte ? Car Vladivostok, place stratégique, fut longtemps fermée en chasse gardée de la flotte soviétique du Pacifique. Rien ou peu n'y paraît aujourd'hui, tant la ville semble renaître à son passé de place commerciale, carrefour, tant que le pouvoir de Moscou le permet, aux confins de l'extrême-Orient, entre Chine, Japon et Corée. Cosmopolite en un sens. Jusqu'à cette fine présence de la nourriture coréenne, kimchi dans les commerces et les réfrigérateurs, larges gâteaux à la crème dans les pâtisseries, comme un rappel de ce début de 20e siècle qui vit tant de natifs de la péninsule tenter ici leur chance. L'architecture tsariste côtoie sans manière les motifs Art Déco plus tardifs, les immeubles staliniens non dépourvus de charme, les blocs soviétiques, les barres plus modernes encore et même le récent plus long pont à haubans du monde. Et finalement, tous apportent une pierre à l'édifice de cette ville et aucun ne détone en nuance, dans la palette de ce large champignon sans neige, sur le contraste froid du ciel pur de l'hiver oriental et des blocs de glace qui ont eu raison de la mer en cette saison. Fantoche fantôme du passé martial, s'exhibe en cale sèche un sous-marin plus ancien encore que le blocus. Il sert de terrain de jeu aux enfants, à côté de quelques vaisseaux de guerre encore bien fonctionnels. On n'est jamais trop prudent.

Un peuple

S'il est un peuple qui contribuât au développement de Vladivostok, à cette conquête de l'Est du milieu du 19e siècle, ce furent bien les cosaques venus y tenir la frontière dans les premiers temps. Pionniers sur ces terres sans autochtones, ils s'établirent -ou furent établis-, le long de l'Oussouri et de l'Amour, eux venus du Terek dans le Caucase Nord, passés dans le Don, puis en Transbaïkalie. Rien de plus logique alors que de les y rencontrer aujourd'hui. Romain appréciait depuis des années leurs profondes voix envoûtantes et décidées, en l'incarnation du groupe Emchane, sis à Vladivostok. Contact pris, il s'avéra immédiatement qu'il me serait possible de loger chez une des chanteuses du groupe, Olga. Chance incroyable, d'autant plus que le groupe lui malheureusement s'était disloqué depuis quelques années.
L'occasion de partager une soirée intime et chaleureuse, « pas totalement cosaque » dirait Olga car il n'y eut que des voix de femmes et des chants cosaques ne peuvent s'entendre qu'avec une majorité de voix d'hommes. Pour moi, la magie opéra malgré tout. Comment ne pas être emporté par la force et la puissance de ces chants où il est question malgré tout des vicissitudes de l'attente ? Cette attente des femmes après le départ de leurs hommes à la guerre et elles furent nombreuses dans l'histoire cosaque. Cette solidité des femmes se lit dans le visage de Galya, amie d'Olga, chef de choeur professionnelle. Son rêve, « diriger un choeur d'hommes » !

Une famille

Pour Olga, être cosaque ce n'est pas être russe. D'ailleurs, cela se voit sur le visage. « A Moscou, les vraies femmes russes ont le visage rond, blanc, marqué d'un tout petit nez rond. Les cosaques ont un visage plus anguleux, moins dans la douceur, plus volontaire ! » Etre de Vladivostok, ce n'est pas être russe, c'est être extrême-oriental. Pour eux, ici, Moscou, c'est presque un autre pays à plus de 9200 km. Vladivostok brasse toute cette subtilité, et la famille d'Olga aussi. D'une ascendance cosaque par son père, ukrainienne par sa mère, elle est à l'image du peuplement de la cité, mariage d'ethnies, il y en aurait selon elle aujourd'hui 129 dans le Kraï de Primorie. L'entourage de la famille révèle cette mosaïque. L'énergique Anya, cosaque et chanteuse aussi à ces heures, a épousé Kolya, tatar de son état. Une victoire pour cet homme qui en plaisante volontiers. « Vous avez pris notre territoire, je prends l'une de vos femmes ! » Anya, étudiante, passait beaucoup de temps déjà avec Olga et son frère Igor. « Elle en pinçait à l'époque pour Igor mais lui aimait une autre fille. Voilà c'est le destin, elle a rencontré Kolya, il y a eu le mariage, les enfants... », sourit Olga.
Le destin d'Olga, c'est la liberté. Elle n'aime pas les amoureux de passage espagnols qui se permettent de penser qu'il faut protéger avec condescendance une « pauvre femme russe seule avec deux enfants... », elle aime l'irrévérence et l'esprit de fronde des français. Peut-être un trait que nous partageons avec les cosaques. Elle veut que ses enfants gardent leur culture. Seva, 11 ans, s'instruit dans un club pour petits cosaques -ouvert aux enfants qui ne le sont pas! Pas de communautarisme malsain-, et a déjà pris part à un entraînement de terrain, exercices de tir et costume militaire inclus. « Je ne suis pas une mère stricte. Les contraintes imposées par la tradition, se coucher à telle heure par exemple, ce n'est pas important. Ce qui est important dans la tradition, ce sont les chants cosaques ! » Elle veut faire de ses enfant des êtres indépendants et les accompagne tout en douceur. Ici l'on prend des cours particuliers de japonais à la maison, en famille, Olga, Seva et Yara, sa fille de 14 ans, tous ensemble. « Ce n'est plus une contrainte si ça devient un plaisir partagé par tout le monde ».
Ainsi va la vie chez une famille de cosaques d'aujourd'hui. Avec comme une pointe d'amertume en toile de fond. « Nous étions 6 millions avant la révolution. Avec le génocide, il ne reste de nous que quelques milliers, c'est la fin de l'histoire des cosaques ». Comme toujours, ils se battent pour faire entendre leurs voix. Ecoutez-les.





Photos : Olga, son frère Igor et leurs amis (1) et (2), Olga et Anya (3), Galya et Igor (4), Kolya Anya et leurs enfants (6), en dessous, vues de l'appartement d'Olga et vues de Vladivostok

















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