> Mercredi 24 juillet. L'Ouest de l'Ouzbékistan, encore loin de l'arc touristique du pays Khiva-Boukhara-Samarcande-Tachkent, fait figure de terre abandonnée.
Pour l'atteindre, plus de vingt-quatre
heures de train chaotique nous brinquebalent à travers le désert
depuis Aktau, dans une chaleur insoutenable. Le train modulable voit
les banquettes bondées se changer maintes fois en couchettes et même
en tables dépliantes et inversement. Les passagers hagards décollent
leur sueur du skaï, qui pour grimper s'assoupir un peu plus haut,
qui pour engloutir un plov, le pilaf national, négocié aux petites
vendeuses ambulantes qui grouillent à la frontière où le train
s'assoupit plus de cinq heures. Nos voisins changent mille fois de
visages.
De Kungrad où le train le libère dans
une cohue indescriptible, le voyageur veut s'aventurer vers le
désastre de la mer d'Aral. Encore quelques heures de bus et le
morbide de l'affaire se dévoile à Moynak, jadis port poissonnier
prospère et usine modèle de l'URSS, fière de ses vingt millions de
conserves annuelles envoyées jusqu'à Moscou. Réduite de 66 000 km2
à moins de 12 000 aujourd'hui, la mer d'Aral a vu sa salinité
augmenter vertigineusement. La mer s'est retirée de Moynak, l'usine
a fermé en 1984, la population souffre de températures rendues
extrêmes été comme hiver et de tempêtes de sable et de sel
chargées de particules toxiques échappées du sol saturé en
pesticides. Nulle part ailleurs dans le pays, la santé est aussi
précaire, menacée par les cancers, la typhoïde, les malformations
infantiles. En cause, la volonté délibérée des autorités
soviétiques d'irriguer une culture extensive de coton en Ouzbékistan
par des canaux détournés des deux fleuves d'alimentation de l'Aral,
l'Amu-Darya et le Syr-Darya.
Et pourtant aujourd'hui, l'impasse
semble consommée. Comment remettre en cause une culture qui fait
vivre tant d'Ouzbeks ? L'équation insolvable se noie dans les
panoramas sans fin du coton. Au kolkhoze de la grand-mère où une
famille de Tachkent rencontrée en bus nous invite, les plants de
coton enserrent les terres maraîchères. Les ramasseurs de tomates
ont comme des airs de forçats sous leurs multiples couches du
textile bon marché. Une tâche rude, que nous avons testée le temps
d'une heure avant de rejoindre la fraîcheur de la grande demeure.
N'importe, l'hospitalité réchauffe l'âme des corps brûlés en ces
terres arides.
Photos : Moynak, Khamza
Photos : Moynak, Khamza
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