samedi 10 août 2013

Désolation et chaleur en Karakalpakie









> Mercredi 24 juillet. L'Ouest de l'Ouzbékistan, encore loin de l'arc touristique du pays Khiva-Boukhara-Samarcande-Tachkent, fait figure de terre abandonnée.
Pour l'atteindre, plus de vingt-quatre heures de train chaotique nous brinquebalent à travers le désert depuis Aktau, dans une chaleur insoutenable. Le train modulable voit les banquettes bondées se changer maintes fois en couchettes et même en tables dépliantes et inversement. Les passagers hagards décollent leur sueur du skaï, qui pour grimper s'assoupir un peu plus haut, qui pour engloutir un plov, le pilaf national, négocié aux petites vendeuses ambulantes qui grouillent à la frontière où le train s'assoupit plus de cinq heures. Nos voisins changent mille fois de visages.

De Kungrad où le train le libère dans une cohue indescriptible, le voyageur veut s'aventurer vers le désastre de la mer d'Aral. Encore quelques heures de bus et le morbide de l'affaire se dévoile à Moynak, jadis port poissonnier prospère et usine modèle de l'URSS, fière de ses vingt millions de conserves annuelles envoyées jusqu'à Moscou. Réduite de 66 000 km2 à moins de 12 000 aujourd'hui, la mer d'Aral a vu sa salinité augmenter vertigineusement. La mer s'est retirée de Moynak, l'usine a fermé en 1984, la population souffre de températures rendues extrêmes été comme hiver et de tempêtes de sable et de sel chargées de particules toxiques échappées du sol saturé en pesticides. Nulle part ailleurs dans le pays, la santé est aussi précaire, menacée par les cancers, la typhoïde, les malformations infantiles. En cause, la volonté délibérée des autorités soviétiques d'irriguer une culture extensive de coton en Ouzbékistan par des canaux détournés des deux fleuves d'alimentation de l'Aral, l'Amu-Darya et le Syr-Darya.

Et pourtant aujourd'hui, l'impasse semble consommée. Comment remettre en cause une culture qui fait vivre tant d'Ouzbeks ? L'équation insolvable se noie dans les panoramas sans fin du coton. Au kolkhoze de la grand-mère où une famille de Tachkent rencontrée en bus nous invite, les plants de coton enserrent les terres maraîchères. Les ramasseurs de tomates ont comme des airs de forçats sous leurs multiples couches du textile bon marché. Une tâche rude, que nous avons testée le temps d'une heure avant de rejoindre la fraîcheur de la grande demeure. N'importe, l'hospitalité réchauffe l'âme des corps brûlés en ces terres arides.

Photos : Moynak, Khamza










Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire