> Mercredi 15 mai. Nous quittons les
débats théoriques de Zagreb pour prendre pieds dans une des
réalités rurales de Serbie. Notre destination est en Voïvodine
juste à la frontière croate, Erdevik, un petit village créé au
19e siècle par les Allemands dans leur exploration des plaines
fertiles des abords du Danube. Avec son plan en damier, le village
intègre de coquettes rues aux façades peintes et frontons
monumentaux avec des champs tout en longueur à l'arrière des
longères. Le village se rêvait à l'époque auto-suffisant, chacun
devait pouvoir produire pour une famille de six personnes.
Aujourd'hui encore, la plupart des habitants, à l'image de Branko
avec qui nous passons quelques soirées, élèvent chèvres, poules
et lapins, cultivent leur langue de terre et fermentent le jus de
raisin en un vin acide et terreux.
Derrière le portail de la longère où
nous nous installons pour une petite semaine, une famille
serbo-britannique expérimente une vie utopique depuis 2 ans. Beba,
Serbe de Bosnie, a rencontré son irlandais de mari, Callum, à
Londres. Leurs deux fils nés, elle a décidé de revenir s'installer
dans ses terres de cœur. Rêveuse, virevoltante, fantasque,
lunatique aussi, elle a fait de son foyer une résidence artistique
et un lieu d'expérimentation agricole. De toute la terre affluent
des peintres, photographes, sculpteurs qui viennent trouver
l'inspiration dans le parc naturel de Fruska Gora et les vignes de
Voïvodine ou se frotter aux techniques de permaculture.
La vie n'est que surprises avec Beba.
Un jour il s'agit de porter un message et de l'argent à la poste.
Personne n'y parle un mot d'anglais, nous devons nous y prendre à
deux fois avant de mener à bien notre mission. Le petit colis était
en fait destiné à un voisin emprisonné qui purge quelques mois
après avoir touché le fond. Sa femme partie avec un réfugié après
les guerres des années 90, il a sombré dans l'alcool et accumulé
les dettes, vendant brique par brique et tuile après tuile sa maison
aujourd'hui en ruine.
Le dimanche nous voit prendre le chemin
de l'église catholique en un bien étrange cortège. Beba et Callum
qui veulent faire confirmer leurs deux fils afin de pouvoir les
envoyer dans une école catholique anglaise, les deux enfants qui
suivent en traînant les pattes, un italien de passage comme nous,
Roberto, très croyant et qui cherche désespérément à se faire
confesser, et des voisins dont l'un s'imagine être la réincarnation
du Christ depuis une attaque. Avec Beba en meneuse de troupe, blouse
rose, jupe jaune et collants rayé, toutes les têtes se retournent
sur notre passage.
Le gîte est offert chez Beba mais se
monnaie avec une œuvre. Nous complétons la collection de cabanes à
oiseaux. Ainsi acceptés, nous gagnons le droit de laisser notre
profil peint sur le mur de la cuisine, dans cette galerie de
visiteurs anonymes qui tous ont imprimé une part d'histoire dans la
mémoire de Beba, merveilleuse conteuse.
Photos : Erdevik
N'oubliez pas d'aller jeter un coup d’œil sur l'album photo Serbie où vous pourrez voir bien plus de détails de notre vie à Erdevik.
Serbie urbaine
Nous traversons en coup de vent Novi
Sad et Belgrade. Deux forteresses, une ambiance provinciale, l'autre
beaucoup plus électrique, certains la disent même 'underground' et
tournée vers l'avenir. Le temps se couvre et le froid nous pique
alors que nous ne savons comment prendre d'assaut les murs sales de
la capitale. Les péniches sur la Save, hauts lieux de fête pendant
l'été, nous offrent un visage de désolation et de décrépitude.
Les larges avenues de la ville 'nouvelle', Novi Beograd, entre grands
ensembles grisâtres et palais mégalo de Yougoslavie à
l'architecture stalinienne, respirent un passé éteint.
Photos : Novi Sad, Belgrade
Aux portes du Kosovo
Sur le chemin du Kosovo, nous nous
offrons une halte à Novi Pazar. Ville à l'architecture désordonnée,
avec sa vieille kasbah, ses mosquées et sa ville nouvelle en pleine
expansion, aux façades de béton et briquettes déjà hors d'âge
bien qu'encore inachevées, elle s'étale au cœur d'une nature
merveilleuse. Montés sur une colline à un ancien monastère dédié
à saint Georges, nous rencontrons Bojana et Nenad, 24 ans tous les
deux. Elle vit à Novi Sad, lui à Novi Pazar, ils se connaissent
depuis un an. Pendant deux jours, ils deviennent nos guides
enthousiastes. Très pratiquants, ils nous font découvrir les
trésors orthodoxes de la région. La nuit tombée, ils nous emmènent
dans la maison des grands-parents de Nenad où ils aiment se reposer
en famille à l'écart de la ville quand ils se retrouvent deux fois
par mois. Le repas est simple, œufs, salami, fromage de la ferme,
pain, soupe. Comme partout dans les balkans, le rakija coule à
flots. Les grands-parents sont ravis de leurs visiteurs inattendus
et ressortent pour l'occasion calots et képis des Tchetniks,
résistants de la seconde guerre mondiale et nationalistes serbes.
Même sans les mots – personne, y compris Bojana et Nenad, ne parle
vraiment l'anglais-, l'ambiance chaleureuse nous emporte
complètement.
Photos : Novi Pazar
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