mercredi 22 mai 2013

La poudrière des Balkans II








> Mardi 7 mai. Nous voilà de retour à Zagreb. Revenir sur ses pas confère un sentiment de sécurité sans pareil. Les rues ne nous sont plus anonymes, l'au-delà n'est plus tout à fait inconnu. Nous remarquons même les subtils changements depuis notre premier passage. Nous ne sommes plus sur le fil.

Nous voilà de retour pour assister à un forum social, le second du genre à Zagreb à rassembler des militants de gauche venus de l'ensemble des Balkans au sens large, Croatie, Slovénie, Bosnie, Serbie, Macédoine, Monténégro, Kosovo, Bulgarie et même Hongrie. Le forum subversif et plus précisément au sein de celui-ci, trois jours de « forum des Balkans ».

Pendant une semaine, nous traînons nos basques, nos idées, nos questionnements, nos silences surtout, au milieu de ces jeunes, ces intellectuels, ces mouvements et partis qui redoutent aujourd'hui pour leurs concitoyens un avenir bien incertain et rêvent un monde emprunt de plus de solidarité.

Biens communs, démocratie, participation

En Slovénie, 40% des emplois sont précaires. En Croatie, un sixième des retraités reçoit sa pension de retraite complète. Le Kosovo en voie de reconnaissance reste le pays le plus pauvre d'Europe, avec 48% de chômeurs et 20% de la population qui vit avec moins d'un euro par jour.

La fin du communisme avait fait émerger le rêve de l'avènement de la démocratie. Il a été pulvérisé par les guerres ethniques et la réalité sociale des années 90, marquée par l'enfermement nationaliste. La transition néo-libérale n'en a pas moins eu lieu, avec son lot de privatisations de services publics, de destruction d'industries (y compris les rares industries en Serbie qui avaient survécu aux bombardements de l'OTAN) et d'embrasement du chômage. Aujourd'hui, le spectre des nationalismes resurgit, fauve prêt à sortir de l'ombre en période d'austérité. La peur des lendemains isole et amplifie les haines.

Les Balkans se voient maintenant à la double périphérie économique de l'Europe, celle qui appartient à l'UE sans pouvoir décisionnaire et celle qui n'y entrera pas avant longtemps, s'il en est un jour question. Comment concilier ces deux périphéries ? Le forum des Balkans a cherché à trouver un dénominateur politique commun entre les anciens ennemis. Des débats enflammés se sont tenus autour des biens communs à protéger des lois du marché, de la consommation partagée, des syndicats qui devraient intégrer les situations relatives aux chômeurs et précaires, des dérives de l'homonationalisme, du patriarcat à combattre et de la place des femmes.

Protéger les citoyens

Six groupes de travail trans-balkaniques sont venus présenter leurs visions autour de thèmes qu'ils ont pu approfondir pendant plusieurs mois de travail. Un temps de prise de recul avant la rédaction d'un document de synthèse qui devrait paraître aux alentours de septembre.

Au-delà des propositions, restera-t-il quelque chose de leur énergie ? Le forum aura fait se rencontrer environ 300 participants et une trentaine de mouvements des Balkans. Certains avaient déjà pu s'illustrer, y compris par des résistances relayées dans la presse occidentale, en Slovénie depuis l'hiver, en Bulgarie par des manifestations de printemps contre l'augmentation du prix de l'électricité. D'autres sont plus discrets mais n'en soutiennent pas moins concrètement leurs concitoyens. Une association croate, Udruga Franak, aide juridiquement les sur-endettés asphyxiés par des prêts immobiliers à taux variables indexés sur le franc suisse. Elle vient d'attaquer en justice les huit plus grosses banques du pays, succursales de banques occidentales comme la société générale, ainsi que la banque centrale de Croatie, sur des bases légales de protection du consommateur. L'association a déjà des groupes en Bosnie et Serbie et forme des militants en Slovénie et au Monténégro.

Des mouvements au politique

Les partis DPU en Slovénie, Lijevi en Bosnie, Marks21 en Serbie, luttent pour faire entendre leur message. La scène de gauche est encore embryonnaire, l'organisation de la contestation reste largement portée par des mouvements spontanés. Au Kosovo comme en Bulgarie, des manifestations ont eu lieu dans 17 villes contre l'augmentation des prix de l'électricité, en Albanie, les étudiants lancent des mouvements, en Croatie, la résistance est partie d'eux dès 2009. Malgré la démission d'un premier ministre croate, rien ne semble avoir fondamentalement changé.

Cette gauche encore fragmentée et fragile s'interroge sur son avenir. Sera-t-il cantonné à l'opposition ou faut-il envisager de prendre une part du pouvoir d'Etat, sans en investir l'appareil ? Comment se rencontrer, mutualiser, se financer ? Comme ils l'ont eux-même pointé, les aspirations de cette gauche contestataire tiennent encore largement de l'utopie. Une utopie d'autant plus à interroger que la Croatie s'apprête à rejoindre l'UE en juillet. La construction d'une démocratie européenne gagnerait à entendre les voix qui s'élèvent parmi ceux qui ont si longtemps rêvé de rejoindre l'Union.

Photos : Zagreb, Subversive Forum

« A map of the world that does not include Utopia is not worth even glancing at, for it leaves out
the one country at which Humanity is always landing. And when Humanity lands there, it looks out, and, seeing a better country, sets sail. Progress is the realisation of Utopias. » Oscar Wilde, The soul of Man under socialism.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire