> Mardi 7 mai. Nous voilà de retour
à Zagreb. Revenir sur ses pas confère un sentiment de sécurité
sans pareil. Les rues ne nous sont plus anonymes, l'au-delà n'est
plus tout à fait inconnu. Nous remarquons même les subtils
changements depuis notre premier passage. Nous ne sommes plus sur le
fil.
Nous voilà de retour pour assister à
un forum social, le second du genre à Zagreb à rassembler des
militants de gauche venus de l'ensemble des Balkans au sens large,
Croatie, Slovénie, Bosnie, Serbie, Macédoine, Monténégro, Kosovo,
Bulgarie et même Hongrie. Le forum subversif et plus
précisément au sein de celui-ci, trois jours de « forum des
Balkans ».
Pendant une semaine, nous traînons nos
basques, nos idées, nos questionnements, nos silences surtout, au
milieu de ces jeunes, ces intellectuels, ces mouvements et partis qui
redoutent aujourd'hui pour leurs concitoyens un avenir bien incertain
et rêvent un monde emprunt de plus de solidarité.
Biens communs, démocratie,
participation
En Slovénie, 40%
des emplois sont précaires. En Croatie, un sixième des retraités
reçoit sa pension de retraite complète. Le Kosovo en voie de
reconnaissance reste le pays le plus pauvre d'Europe, avec 48% de
chômeurs et 20% de la population qui vit avec moins d'un euro par
jour.
La fin du
communisme avait fait émerger le rêve de l'avènement de la
démocratie. Il a été pulvérisé par les guerres ethniques et la
réalité sociale des années 90, marquée par l'enfermement
nationaliste. La transition néo-libérale n'en a pas moins eu lieu,
avec son lot de privatisations de services publics, de destruction
d'industries (y compris les rares industries en Serbie qui avaient
survécu aux bombardements de l'OTAN) et d'embrasement du chômage.
Aujourd'hui, le spectre des nationalismes resurgit, fauve prêt à
sortir de l'ombre en période d'austérité. La peur des lendemains
isole et amplifie les haines.
Les Balkans se voient maintenant à la
double périphérie économique de l'Europe, celle qui appartient à
l'UE sans pouvoir décisionnaire et celle qui n'y entrera pas avant
longtemps, s'il en est un jour question. Comment concilier ces deux
périphéries ? Le forum des Balkans a cherché à trouver un
dénominateur politique commun entre les anciens ennemis. Des débats
enflammés se sont tenus autour des biens communs à protéger des
lois du marché, de la consommation partagée, des syndicats qui
devraient intégrer les situations relatives aux chômeurs et
précaires, des dérives de l'homonationalisme, du patriarcat à
combattre et de la place des femmes.
Protéger les citoyens
Six groupes de
travail trans-balkaniques sont venus présenter leurs visions autour
de thèmes qu'ils ont pu approfondir pendant plusieurs mois de
travail. Un temps de prise de recul avant la rédaction d'un document
de synthèse qui devrait paraître aux alentours de septembre.
Au-delà des
propositions, restera-t-il quelque chose de leur énergie ? Le
forum aura fait se rencontrer environ 300 participants et une
trentaine de mouvements des Balkans. Certains avaient déjà pu
s'illustrer, y compris par des résistances relayées dans la presse
occidentale, en Slovénie depuis l'hiver, en Bulgarie par des
manifestations de printemps contre l'augmentation du prix de
l'électricité. D'autres sont plus discrets mais n'en soutiennent
pas moins concrètement leurs concitoyens. Une association croate,
Udruga Franak, aide juridiquement les
sur-endettés asphyxiés par des prêts immobiliers à taux variables
indexés sur le franc suisse. Elle vient d'attaquer en justice les
huit plus grosses banques du pays, succursales de banques
occidentales comme la société générale, ainsi que la banque
centrale de Croatie, sur des bases légales de protection du
consommateur. L'association a déjà des groupes en Bosnie et Serbie
et forme des militants en Slovénie et au Monténégro.
Des mouvements au politique
Les partis DPU en
Slovénie, Lijevi en Bosnie, Marks21 en Serbie, luttent pour faire
entendre leur message. La scène de gauche est encore embryonnaire,
l'organisation de la contestation reste largement portée par des
mouvements spontanés. Au Kosovo comme en Bulgarie, des
manifestations ont eu lieu dans 17 villes contre l'augmentation des
prix de l'électricité, en Albanie, les étudiants lancent des
mouvements, en Croatie, la résistance est partie d'eux dès 2009.
Malgré la démission d'un premier ministre croate, rien ne semble
avoir fondamentalement changé.
Cette gauche encore
fragmentée et fragile s'interroge sur son avenir. Sera-t-il cantonné
à l'opposition ou faut-il envisager de prendre une part du pouvoir
d'Etat, sans en investir l'appareil ? Comment se rencontrer,
mutualiser, se financer ? Comme ils l'ont eux-même pointé, les
aspirations de cette gauche contestataire tiennent encore largement
de l'utopie. Une utopie d'autant plus à interroger que la Croatie
s'apprête à rejoindre l'UE en juillet. La construction d'une
démocratie européenne gagnerait à entendre les voix qui s'élèvent
parmi ceux qui ont si longtemps rêvé de rejoindre l'Union.
Photos : Zagreb, Subversive Forum
« A map of
the world that does not include Utopia is not worth even glancing at,
for it leaves out
the one country at which Humanity is
always landing. And when Humanity lands there, it looks out, and,
seeing a better country, sets sail. Progress is the realisation of
Utopias. » Oscar Wilde, The soul of Man under socialism.
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