> Dimanche 26 mai. La terre du Kosovo s'étend à hauteur
d'homme. Une large plaine coincée entre des chaînes montagneuses
serbes, monténégrines, albanaises et macédoniennes. Un regard du
haut des collines de Pristina en atteint les confins, balaie ses deux
millions d'habitants, ses villages modestes aux baraques inachevées
de briques apparentes et ses usines désaffectées.
Pour le visiteur, le Kosovo se parcourt
aisément et offre des trésors inattendus, comme la mosquée Pasha à
Prizren, ancienne capitale de la Serbie médiévale (1) à
l'atmosphère délicieusement turque aujourd'hui, les gorges de
Rugova, le bazar et le patriarcat orthodoxe de Peja aux quatre
églises byzantines accolées merveilleusement peintes ou le
monastère de Gracanica. Ces derniers, hauts-lieux de l'art
orthodoxe, sont plantés en de petites enclaves serbes gardées par
la KFOR(2). Au déchaînement de violence serbe de 1999 suite auquel
a été instauré ce protectorat a succédé une violence kosovare
albanaise en 2004. De nombreux sites historiques et religieux serbes
ont été détruits à cette occasion, devant les yeux de la KFOR
impuissante.
Le Kosovo s'étend bien à hauteur
d'hommes, qui se scrutent, se provoquent et se toisent. Les
sentiments et ressentiments s'écrivent par murs interposés. A
Kosovska Mitrovica, symbole de la ville divisée, poste frontière
fantôme de l'enclave serbe du nord du Kosovo, la parole semble
coupée comme le pont sur l'Ibar entre les moitiés serbe et
albanaise de la ville. Des messages évocateurs et provocateurs
s'étalent anonymement. « Serbia is my castle, never
surrender », « Eulex (3) go home », ou encore des
épitaphes aux héros albanais de l'armée de libération du Kosovo.
Les serbes au nord viennent d'achever la construction d'une
monumentale église orthodoxe, tandis que les albanais du sud
s'attellent au chantier de leur grande mosquée. Dans les cortèges
de mariage des deux côtés du fleuve, une voiture de tête précède
les mariés. Par la fenêtre on y agite qui le drapeau serbe, qui le
drapeau albanais. Et pourtant, partout la vie est rythmée par le
café que l'on sirote en terrasse et cette douce indolence des
déambulations entre les vendeurs de burek et de cevapi. Des messages
sur les murs, nous n'avons voulu garder en image qu'une certaine idée
de la poésie.
Paix et développement économique,
très relatif et poussif, dépendent en partie de l'aide, voire de
l'ingérence dès qu'il s'agit d'élections, de l'Union Européenne
et surtout des USA. A Pristina, le boulevard Bill Clinton, orné
d'une statue et d'un portrait géant du principal artisan de
l'intervention armée de l'OTAN en 1999, coupe la rue Georges W.
Bush, soutien de l'indépendance en 2008. Partout poussent les
projets du programme de développement des Nations Unies et le pays
respire grâce au FMI et à la banque mondiale. Une aube se prépare
peut-être, un accord historique de réconciliation entre la Serbie
et le Kosovo, largement piloté par l'Union européenne, a été
signé le 19 avril dernier. Reste à voir comment les serbes du
Kosovo se l'approprieront.
*Poème
du poète kosovar Arben Idrizi, dans lequel il évoque ce que le
Kosovo est devenu : une toile de haine et de guerre où les
habitants acceptent la paix seulement comme un mal nécessaire. La
métaphore du zoo illustre l'artificialité de ce lieu. Les membres
de l'audience regardent le Kosovo et son peuple comme des animaux
dans un zoo, observent et scrutent la coexistence de différents
groupes ethniques qui il n'y a pas si longtemps se faisaient la
guerre.
(1) :
Ici il est peut-être utile de préciser que suite à leur défaite
face aux turcs en 1389, les serbes ont abandonné le Kosovo aux
albanais, descendants des Illyriens, les premiers habitants de cette
terre. Les serbes n'en ont repris le contrôle qu'en 1913 au départ
des turcs, avec force expropriations et colonisation, ouvrant un
boulevard à un nouveau siècle d'opposition ethnique. L'histoire
mêlée des serbes et des albanais au Kosovo fait donc feu de longue
date.
(2) :
Kosovo Force, force militaire internationale sous commandement de
l'OTAN
(3) :
Mission civile de l'Union européenne au Kosovo mise en place en 2008
suite à la proclamation d'indépendance du Kosovo. Elle remplace la
mission d'administration intérimaire des Nations Unies (MINUK) et
exerce des fonctions de police et de justice.
Photos : Rugova, Prizren, Mitrovica, Pristina, Peja
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