> Mercredi 17 juillet. La réputation de la traversée de le
mer caspienne précède largement l'aventure pour tout voyageur
posant le pied à Baku. Deux routes maritimes existent,
Baku-Turkmenbashi et Baku-Aktau, avec quelques places pour des
passagers sur des ferrys de marchandises. La porte vers l'Asie
centrale par le Turkménistan ou le Kazakhstan. Des quasi-légendes,
aux accents de voyages au long cours circulent ici et là. Il se
raconte que l'on ne sait jamais quand un ferry sera en partance, au
mieux le matin même, que peut-être il se chargera de produits
chimiques et refusera alors tout passager, que la traversée d'une
nuit pourra se voir prolonger pour d'obscures raisons.
Pour nous vers Aktau, elle fut de trois
jours. Pour cause de tempête. Il en existe, même sur le plus grand
lac du monde.
L'embarquement nous parut
suspicieusement aisé. Un appel, une traversée de la ville en bus
pour tenter le départ avec un bateau quarante minutes plus tard, un
passage douanier sans accroc et finalement à peine deux heures
d'attente une fois à bord avant de lever l'ancre. La première nuit
fut très agitée. De vagues impressions de tanguer sur plusieurs
mètres de la cime au creux des vagues dans un sommeil confus. Le
lendemain matin, la côté kazakh est en vue. On pense atteindre le
port, l'ancre touche le fond. Face au désert.
Trop de vent pour espérer rallier
Aktau. Il nous faudra attendre. Et c'est finalement là, sans bouger
de plus de quelques kilomètres en quarante-huit heures, que la
véritable traversée prend corps. Le temps d'absorber par tous les
pores chaque parcelle rouillée du navire sous une chaleur étouffante
qui nous cloisonne le plus clair du temps dans les cabines et
couloirs. Un paradoxe de mouillage dans une rade à la mer d'huile où
la tempête nous a fait chercher abri.
Quarante-huit heures sur un ferry de la
caspienne, seuls étrangers au Caucase ou à l'Asie centrale à bord,
c'est voir des marins taciturnes se fendre lentement de timides puis
de larges sourires avec ce temps partagé, volé aux réalités
terrestres. C'est un domino aux règles obscures avec les femmes de
cuisine du navire. C'est une quantité incroyable de thé siroté
avec l'équipage à côté d'un jeu de nard, le backgammon local,
échanges compris des souvenirs de traversées de la méditerranée,
du port de Fos et de l'ennui de la Caspienne. C'est écouter
au-dessus d'un whisky-coca et d'une vodka le rire cristallin de Mark,
importateur kazakh de voitures géorgiennes, de retour chez lui avec
sa marchandise. Laisser s'envoler son imagination vers ces 4000km
qu'il va devoir avaler en trois jours au débarquement à Aktau pour
rejoindre Almaty, jalonnés de l'incertitude de contrôles douaniers
à chaque entrée dans une nouvelle région du pays.
C'est aussi parler de soi, de son
projet. Ne pas forcément espérer être compris par ces hommes dont
le premier but est d'amasser un petit pécule pour s'offrir un toit
et une voiture, -la plus grosse possible de préférence. Les voir
jeter chaque bouteille vide à la mer avec un pincement de cœur. Les
poissons n'y liront certainement aucun message d'avenir de la part de
marins qui n'ont aucun respect ni crainte envers cette mer qui les
fait crever d'ennui. Parler avec eux de religion, de famille, de
littérature européenne. Attendre avec eux.
Et un matin, le troisième jour,
apercevoir enfin au loin l'entrée du port. Nous débarquons,
vaguement soulagés quand même. Les marins eux n'ont pas tout à
fait cette chance. Six heures plus tard, l'ancre sera de nouveau
levée.
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