> Samedi 22 juin. Un pays méconnu se cache derrière la
guerre éclair de 2008. Quiconque nous y croiserons nous demandera
invariablement comment l'idée nous est venue d'arpenter la Géorgie,
les visiteurs y restant pour le moment majoritairement polonais ou
israéliens. L'image que nous en cultivions n'était guère que celle
d'une invasion de chars russes et de provinces sécessionnistes.
La Géorgie c'est bien plus que cela.
C'est une arène où vrombissent des Lada et des Mercedes.
A Batumi s'exprime au mieux la folie
des grandeurs capitalistes du régime pro-occidental en place depuis
la révolution des Roses de 2003. Une ville au vieux centre comme
endormi dans la poussière de villas aux balconnets Art Nouveau et un
bord de mer clinquant qui mue peu à peu en un petit Dubaï. De
grands chantiers maculent cette côte, dont une future tour Trump.
Son promoteur, le milliardaire Donald Trump, a d'ailleurs déclaré
dans une récente interview qu'il imaginait Batumi comme la meilleure
ville du monde dans cinq ans.
Indéniablement, certains se sont
enrichis dans les dernières années. A Gori, ville natale de
Staline, peut-être encore le dernier bastion de ses ultimes
partisans dans un pays qui a tout de même décidé d'en déboulonner
la monumentale statue de l'hôtel de ville après la dernière guerre
contre la Russie, près de la moitié des véhicules en circulation
sont de luxe, Mercedes en premier lieu.
A Kutaisi, ville maintes fois royale,
le temps semble au contraire s'être arrêté à la Lada, pétaradante
devant les échoppes de rues. Le gouvernement se targue d'y avoir
construit un Parlement flambant neuf. De tels ovnis se sont également
plantés dans le centre de Tbilissi la capitale. Les investissements
étrangers y ont permis la construction d'un pont de la Paix
flamboyant et un animal de verre et d'acier étire ses tentacules
dans un tout nouveau parc devant le palais présidentiel. Le soir,
une féerie aquatique, musicale et colorée, draine les badauds et
rafraîchit les enfants.
La Géorgie entend se refaire une
beauté. Des centaines d'églises, de monastères, de sites
historiques, ont été complètement rénovés, voire reconstruits du
quasi-néant, à l'image de la forteresse d'Akhaltsikhe. De nouveaux
hôpitaux, écoles, routes, tunnels poussent ça et là. Le
gouvernement se vante de prendre soin des plus démunis, les réfugiés
géorgiens d'Abkhazie et d'Ossétie, refoulés de leurs foyers après
les dernières guerres et accueillis dans des camps en dur en
périphérie de villes comme Gori. L'aide européenne et américaine
est bien loin d'y être étrangère.
La « vie moderne » n'en a
pas pour autant atteint les contreforts du Caucase. Tout au bout de
l'ancienne route militaire de la Géorgie à la Russie, nous
rencontrons un trio de femmes attachant à Kazbegi. Qetino y tient
une petite chambre d'hôtes. Fine cuisinière et polyglotte
accidentelle -elle a appris les langues avec les visiteurs de
passage-, elle nous parle des traditions encore vives du patriarcat
géorgien, des retraites de 100 lari (50 €) qui ne suffisent pas à
payer les soins de ses vieux parents, des familles de huit pour trois
générations qui doivent vivre sur un seul salaire. « Toutes
ces nouvelles constructions, ces infrastructures dans le pays, c'est
bien mais ça ne vient pas jusqu'à chez nous ». Deux jeunes
sœurs de Tbilissi, Kati et Nino, passent une semaine chez Qetino en
même temps que nous. A 21 ans, Kati s'occupe seule de sa petite
fille de quatre ans, Natalie. Nous ne pourrons comprendre si son mari
est mort ou s'il travaille en Turquie, une sorte de flou étant
entretenu à destination de Natalie. Nino, 23 ans, s'est mariée
« tard », à 19 ans. Elle et son mari travaillent et pour
le moment ne veulent pas d'enfant. « C'est très difficile à
faire accepter en Géorgie ». Les choses changent, petit à
petit. Et Qetino nous rappelle les deux premières phrases qu'elle a
su prononcer en anglais. « No problem » et « Nice
situation ».
Photos: Tbilissi, Batumi, Monastère troglodyte de Vardzia, forteresse d'Akhaltsikhe, village de réfugiés et maison-mausolée de naissance de Staline à Gori, l'hospitalité géorgienne proverbiale au "chacha" du matin dans le train Batumi-Kutaisi, le monastère-académie de Gelati, Kutaisi, Qetino et Kati, un banquet géorgien et l'ascension du glacier de Kazbegi avec Gad venu d'Israël.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire