lundi 27 mai 2013

Serbie, entre traditions et envies d'avenir

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> Mercredi 15 mai. Nous quittons les débats théoriques de Zagreb pour prendre pieds dans une des réalités rurales de Serbie. Notre destination est en Voïvodine juste à la frontière croate, Erdevik, un petit village créé au 19e siècle par les Allemands dans leur exploration des plaines fertiles des abords du Danube. Avec son plan en damier, le village intègre de coquettes rues aux façades peintes et frontons monumentaux avec des champs tout en longueur à l'arrière des longères. Le village se rêvait à l'époque auto-suffisant, chacun devait pouvoir produire pour une famille de six personnes. Aujourd'hui encore, la plupart des habitants, à l'image de Branko avec qui nous passons quelques soirées, élèvent chèvres, poules et lapins, cultivent leur langue de terre et fermentent le jus de raisin en un vin acide et terreux.

Derrière le portail de la longère où nous nous installons pour une petite semaine, une famille serbo-britannique expérimente une vie utopique depuis 2 ans. Beba, Serbe de Bosnie, a rencontré son irlandais de mari, Callum, à Londres. Leurs deux fils nés, elle a décidé de revenir s'installer dans ses terres de cœur. Rêveuse, virevoltante, fantasque, lunatique aussi, elle a fait de son foyer une résidence artistique et un lieu d'expérimentation agricole. De toute la terre affluent des peintres, photographes, sculpteurs qui viennent trouver l'inspiration dans le parc naturel de Fruska Gora et les vignes de Voïvodine ou se frotter aux techniques de permaculture.

La vie n'est que surprises avec Beba. Un jour il s'agit de porter un message et de l'argent à la poste. Personne n'y parle un mot d'anglais, nous devons nous y prendre à deux fois avant de mener à bien notre mission. Le petit colis était en fait destiné à un voisin emprisonné qui purge quelques mois après avoir touché le fond. Sa femme partie avec un réfugié après les guerres des années 90, il a sombré dans l'alcool et accumulé les dettes, vendant brique par brique et tuile après tuile sa maison aujourd'hui en ruine.

Le dimanche nous voit prendre le chemin de l'église catholique en un bien étrange cortège. Beba et Callum qui veulent faire confirmer leurs deux fils afin de pouvoir les envoyer dans une école catholique anglaise, les deux enfants qui suivent en traînant les pattes, un italien de passage comme nous, Roberto, très croyant et qui cherche désespérément à se faire confesser, et des voisins dont l'un s'imagine être la réincarnation du Christ depuis une attaque. Avec Beba en meneuse de troupe, blouse rose, jupe jaune et collants rayé, toutes les têtes se retournent sur notre passage.

Le gîte est offert chez Beba mais se monnaie avec une œuvre. Nous complétons la collection de cabanes à oiseaux. Ainsi acceptés, nous gagnons le droit de laisser notre profil peint sur le mur de la cuisine, dans cette galerie de visiteurs anonymes qui tous ont imprimé une part d'histoire dans la mémoire de Beba, merveilleuse conteuse.

Photos : Erdevik

N'oubliez pas d'aller jeter un coup d’œil sur l'album photo Serbie où vous pourrez voir bien plus de détails de notre vie à Erdevik.

Serbie urbaine

Nous traversons en coup de vent Novi Sad et Belgrade. Deux forteresses, une ambiance provinciale, l'autre beaucoup plus électrique, certains la disent même 'underground' et tournée vers l'avenir. Le temps se couvre et le froid nous pique alors que nous ne savons comment prendre d'assaut les murs sales de la capitale. Les péniches sur la Save, hauts lieux de fête pendant l'été, nous offrent un visage de désolation et de décrépitude. Les larges avenues de la ville 'nouvelle', Novi Beograd, entre grands ensembles grisâtres et palais mégalo de Yougoslavie à l'architecture stalinienne, respirent un passé éteint.



Photos : Novi Sad, Belgrade

Aux portes du Kosovo

Sur le chemin du Kosovo, nous nous offrons une halte à Novi Pazar. Ville à l'architecture désordonnée, avec sa vieille kasbah, ses mosquées et sa ville nouvelle en pleine expansion, aux façades de béton et briquettes déjà hors d'âge bien qu'encore inachevées, elle s'étale au cœur d'une nature merveilleuse. Montés sur une colline à un ancien monastère dédié à saint Georges, nous rencontrons Bojana et Nenad, 24 ans tous les deux. Elle vit à Novi Sad, lui à Novi Pazar, ils se connaissent depuis un an. Pendant deux jours, ils deviennent nos guides enthousiastes. Très pratiquants, ils nous font découvrir les trésors orthodoxes de la région. La nuit tombée, ils nous emmènent dans la maison des grands-parents de Nenad où ils aiment se reposer en famille à l'écart de la ville quand ils se retrouvent deux fois par mois. Le repas est simple, œufs, salami, fromage de la ferme, pain, soupe. Comme partout dans les balkans, le rakija coule à flots. Les grands-parents sont ravis de leurs visiteurs inattendus et ressortent pour l'occasion calots et képis des Tchetniks, résistants de la seconde guerre mondiale et nationalistes serbes. Même sans les mots – personne, y compris Bojana et Nenad, ne parle vraiment l'anglais-, l'ambiance chaleureuse nous emporte complètement.

Photos : Novi Pazar









mercredi 22 mai 2013

La poudrière des Balkans II

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> Mardi 7 mai. Nous voilà de retour à Zagreb. Revenir sur ses pas confère un sentiment de sécurité sans pareil. Les rues ne nous sont plus anonymes, l'au-delà n'est plus tout à fait inconnu. Nous remarquons même les subtils changements depuis notre premier passage. Nous ne sommes plus sur le fil.

Nous voilà de retour pour assister à un forum social, le second du genre à Zagreb à rassembler des militants de gauche venus de l'ensemble des Balkans au sens large, Croatie, Slovénie, Bosnie, Serbie, Macédoine, Monténégro, Kosovo, Bulgarie et même Hongrie. Le forum subversif et plus précisément au sein de celui-ci, trois jours de « forum des Balkans ».

Pendant une semaine, nous traînons nos basques, nos idées, nos questionnements, nos silences surtout, au milieu de ces jeunes, ces intellectuels, ces mouvements et partis qui redoutent aujourd'hui pour leurs concitoyens un avenir bien incertain et rêvent un monde emprunt de plus de solidarité.

Biens communs, démocratie, participation

En Slovénie, 40% des emplois sont précaires. En Croatie, un sixième des retraités reçoit sa pension de retraite complète. Le Kosovo en voie de reconnaissance reste le pays le plus pauvre d'Europe, avec 48% de chômeurs et 20% de la population qui vit avec moins d'un euro par jour.

La fin du communisme avait fait émerger le rêve de l'avènement de la démocratie. Il a été pulvérisé par les guerres ethniques et la réalité sociale des années 90, marquée par l'enfermement nationaliste. La transition néo-libérale n'en a pas moins eu lieu, avec son lot de privatisations de services publics, de destruction d'industries (y compris les rares industries en Serbie qui avaient survécu aux bombardements de l'OTAN) et d'embrasement du chômage. Aujourd'hui, le spectre des nationalismes resurgit, fauve prêt à sortir de l'ombre en période d'austérité. La peur des lendemains isole et amplifie les haines.

Les Balkans se voient maintenant à la double périphérie économique de l'Europe, celle qui appartient à l'UE sans pouvoir décisionnaire et celle qui n'y entrera pas avant longtemps, s'il en est un jour question. Comment concilier ces deux périphéries ? Le forum des Balkans a cherché à trouver un dénominateur politique commun entre les anciens ennemis. Des débats enflammés se sont tenus autour des biens communs à protéger des lois du marché, de la consommation partagée, des syndicats qui devraient intégrer les situations relatives aux chômeurs et précaires, des dérives de l'homonationalisme, du patriarcat à combattre et de la place des femmes.

Protéger les citoyens

Six groupes de travail trans-balkaniques sont venus présenter leurs visions autour de thèmes qu'ils ont pu approfondir pendant plusieurs mois de travail. Un temps de prise de recul avant la rédaction d'un document de synthèse qui devrait paraître aux alentours de septembre.

Au-delà des propositions, restera-t-il quelque chose de leur énergie ? Le forum aura fait se rencontrer environ 300 participants et une trentaine de mouvements des Balkans. Certains avaient déjà pu s'illustrer, y compris par des résistances relayées dans la presse occidentale, en Slovénie depuis l'hiver, en Bulgarie par des manifestations de printemps contre l'augmentation du prix de l'électricité. D'autres sont plus discrets mais n'en soutiennent pas moins concrètement leurs concitoyens. Une association croate, Udruga Franak, aide juridiquement les sur-endettés asphyxiés par des prêts immobiliers à taux variables indexés sur le franc suisse. Elle vient d'attaquer en justice les huit plus grosses banques du pays, succursales de banques occidentales comme la société générale, ainsi que la banque centrale de Croatie, sur des bases légales de protection du consommateur. L'association a déjà des groupes en Bosnie et Serbie et forme des militants en Slovénie et au Monténégro.

Des mouvements au politique

Les partis DPU en Slovénie, Lijevi en Bosnie, Marks21 en Serbie, luttent pour faire entendre leur message. La scène de gauche est encore embryonnaire, l'organisation de la contestation reste largement portée par des mouvements spontanés. Au Kosovo comme en Bulgarie, des manifestations ont eu lieu dans 17 villes contre l'augmentation des prix de l'électricité, en Albanie, les étudiants lancent des mouvements, en Croatie, la résistance est partie d'eux dès 2009. Malgré la démission d'un premier ministre croate, rien ne semble avoir fondamentalement changé.

Cette gauche encore fragmentée et fragile s'interroge sur son avenir. Sera-t-il cantonné à l'opposition ou faut-il envisager de prendre une part du pouvoir d'Etat, sans en investir l'appareil ? Comment se rencontrer, mutualiser, se financer ? Comme ils l'ont eux-même pointé, les aspirations de cette gauche contestataire tiennent encore largement de l'utopie. Une utopie d'autant plus à interroger que la Croatie s'apprête à rejoindre l'UE en juillet. La construction d'une démocratie européenne gagnerait à entendre les voix qui s'élèvent parmi ceux qui ont si longtemps rêvé de rejoindre l'Union.

Photos : Zagreb, Subversive Forum

« A map of the world that does not include Utopia is not worth even glancing at, for it leaves out
the one country at which Humanity is always landing. And when Humanity lands there, it looks out, and, seeing a better country, sets sail. Progress is the realisation of Utopias. » Oscar Wilde, The soul of Man under socialism.

lundi 20 mai 2013

Carte postale sonore de Slovénie

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Petit retour en arrière pour partager avec vous notre première "carte postale" sonore. L'ambiance est de la ferme Rupa à Petkovec.

dimanche 12 mai 2013

Zelenkovac

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> Jeudi 2 mai. Il y a plus de vingt ans, Borislav « le Fou », l'artiste, a décidé de s'isoler dans un vieux moulin de bois qui appartenait à son grand-père. Le moulin suspendait ses ruines à un torrent de montagne, niché à 12 km de Mrkonjic Grad, en Bosnie. Borislav avait bien tenté la grande aventure artistique à Munich, jeune homme, en 1984. Dans les galeries de la ville on l'avait poliment complimenté pour son coup de pinceau et sournoisement interrogé sur son éventuelle notoriété au sein de la presse de son pays. Borislav avait alors partagé le panier de charcuteries préparé par sa mère avec un vagabond allemand et décidé d'investir le moulin à défaut d'une galerie.

Quelques cabanes sont venues se planter le long du cours d'eau et le moulin est devenu un châtelet de rondins à l'équilibre mystérieux, tout droit échappé d'un conte de Grimm. L'éco-village de Zelenkovac a acquis sa petite notoriété locale, les serbes y viennent au frais pour le 1er mai ou passer un week-end en famille. On y mange des Cevapi, on y joue aux échecs tard dans la nuit. L'été, la « scène » de Zelenkovac accueille un festival de jazz. Au printemps, le village héberge des compétitions de Hajduk, épreuves de force où il est question de traverser la rivière pieds nus sur un rondin enduit d'huile ou de pousser des voitures sur la petite côte qui mène à l'entrée du village. Tout autour du village, les collines sont encore plantées de mines.

Le farniente serbe

Nous rencontrons à Zelenkovac un groupe de jeunes hommes de Banja Luka. Ils s'inquiètent de l'image désastreuse que nous serions supposés avoir des Serbes. A vrai dire, rien de tel. Les exactions ont bien été partagées pendant la guerre. « Please, don't get involve in our politics ! ». Nous acquiesçons, le lieu nous y invite.
Plus tard nous festoyons autour du feu et au son de la psy trans avec les amis de Ian, le fils de Borislav. Lui travaille dans le service international d'un cabinet d'avocats à Voltaire, tout près de chez nous dans le 11e à Paris. Il parle français, a épousé une française, mais nous abandonne à ses amis serbes, tout à la joie de retrouver son père pour 10 jours de vacances. Avec Nikola, Natasha, Kristina, Boyan et les autres, les regards et les sourires tiennent lieu d'échanges à défaut de vraie discussion, entravée par la barrière de la langue.
Nous aimons autant les parties de dominos avec le cuisinier, ses rires et ses farces, le soir dans le moulin-galerie de Borislav.

Photos : Zelenkovac 



vendredi 10 mai 2013

D'Herzégovine en Bosnie

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> Mardi 30 avril. Nous partîmes de Mostar vers Banja Luka, passant par Sarajevo. La route en ce sens retrace elle-même l'Histoire de la Bosnie-Herzégovine et dévoile les différents visages de ses habitants. Du pont ottoman de Soliman à Mostar, reconstruit en 2004 car pilonné pendant la guerre, aux multiples mosquées de Sarajevo, elles aussi restaurées après le siège de 92-95, jusqu'aux églises orthodoxes de la république Srpska, enclave peuplée majoritairement de Serbes, la mosaïque se tisse peu à peu pour nous. Sans jamais cesser d'être plurielle et complexe.

La route

Après quelques jours à Sarajevo, passés arpenter les quartiers turc et austro-hongrois, nous décidons de prendre le chemin de la République Srpska. Entité Serbe enclavée dans la Bosnie Hercégovine, sa reconnaissance a été l'une des conditions des accords de paix de Dayton en 1995. Nous allons dans un tout petit village perdu dans la forêt, quelque part près de Mrkonjic Grad.
Il n'existe aucun bus entre Sarajevo et cette petite localité. Nous tentons le bus pour Bihac, à la frontière Nord-Ouest de la Bosnie, sa tangente passe semble-t-il à Mrkonjic. Nous sommes les seuls étrangers. Le voyage a comme un petit air de dimanche à la campagne. Tout le monde s'apostrophe. Le chemin de lacets sillonne et voltige à travers cols et vallées, fleuries de minarets rutilants. Une femme est malade des soubresauts. Aussitôt la fourmilière s'agite. Cinq ou six personnes l'entourent -de l'air de l'eau et un éventail qui s'agite. Bientôt tout le monde sait que nous allons à Mrkonjic Grad. Las, le chauffeur est intraitable, notre billet n'est que pour Jajce, nous allons devoir y descendre et tenter de finir les 30km restants par nos propres moyens.

La crise

Un ange passe. Il s'appelle Aldin. Vingt-trois ans, le sourire avenant, l'anglais hésitant, il parlemente pour nous, paie lui-même un petit supplément et nous offre un soda. Nous irons jusqu'à Mrkonjic Grad. Lui voudrait visiter Paris avec sa future femme, il se marie le mois prochain. Comment faire avec un salaire mensuel moyen en Bosnie de 250 euros ? Aldin a fait des études de théologie de l'Islam mais il ne peut trouver de travail dans son pays, pour le moment il aide son père dans une petite affaire de location de voiture. L'an prochain il aura un enfant, « Inch'Allah », et peut-être qu'un jour il vivra en Finlande, pays où les forêts sont immenses et où il pense avoir la place qu'il faut pour ses rêves.

Plus loin, à Banja Luka, capitale de la république Srpska, un autre jeune homme nous viendra en aide. Il nous guide dans le centre de sa ville et nous parle laconiquement de lui. Ici, il semble que la parole attende le visiteur pour s'épancher, si brève soit la rencontre. Serbe installé avec ses parents en Bosnie peu avant la guerre, il a étudié à Belgrade et cherche un emploi au cadastre. En vain, peut-être lui faudra-t-il quitter son pays.
Bosniaques, musulmans, ou Bosniens, serbes, la crise semble être aujourd'hui le dénominateur commun à tous ceux que la guerre avait opposés.

Photos : Mostar, Sarajevo, Aldin, Banja Luka