> Mercredi 26 février. Elles ne sont
pas compagnes, elles sont « frères ». Elles s'envoient
ainsi du « брат » à
longueur de journées et cela leur colle à la peau et en suinte avec
toute la sensualité qui s'échappe de l'une, de sombre vêtue, et de
l'autre, couleurs vives.
Elles ont peut-être vécu une romance,
« mais la relation, ça vous vide et nous avons besoin de nous
remplir », tentera de m'expliquer, en français, Natasha. Elles
ont chacune leur « femme ». « Je n'aime ni les
hommes, ni les femmes...sauf une », confie Alina. Entre elles
deux donc, la photographie, bien sûr, énorme, omniprésente,
inévitable, évidente. Le goût de l'ailleurs aussi. A Paris, elles
ont leur tanière, un antre dont le propriétaire nonagénaire leur
semble vivre ses derniers instants à chacun de leurs passages et
qu'elles craignent de ne plus retrouver au suivant. La chambre n°9.
Une chambre dont ne peuvent même plus rêver les parisiens. Elle ne
pouvait être que la leur.
« Je suis femme puisque je suis
mère », se convainc Natasha les jours où elle veut mettre en
avant sa féminité, jupe trapèze et large pull-over, sombre encore.
Une femme mariée, avec German, dont la route s'est trouvée
coïncider avec la sienne dans le sillage d'Heidegger. « Nous
avons parlé d'Heidegger, pas d'amour. Puis nous nous sommes mariés.
C'est important pour Leon, qui nous a choisis comme parents.
Aujourd'hui, nous sommes comme frère et sœur, meilleurs amis, sur
ce même chemin ».
« Pour prendre des photos, tu
dois d'abord voir des films, lire. Pour nous, Sartre, Camus,
l'existentialisme, sinon tu finis toujours par parler de technique et
d'objectifs ! » Les journées avec elles vont des matins
photographies, à admirer la lumière des clichés de Gueorgui
Pinkhassov, en paresseux après-midi à la voix gutturale d'Alla
Pougatcheva, pour s'éteindre en soirée Tarkovski, sans sous-titres.
Comme si une journée où l'on ne frémit point d'émotion était
perdue.
Au milieu court Leon bien sûr.
L'occasion de quelques parties de billard avec une autre Natalia,
mère d'une de ses camarades, pendant ces heures de loisir que
s'accordent ces femmes en déposant leur descendance au théâtre
-l'école ne commence en Russie qu'à sept ans. « Cela fait
aussi partie de mon travail de mère ! », s'amuse Natasha.
Une parenthèse hors du temps, au loin de la lumière pendant les
heures les plus claires de la journée, avec autour de nous des
gamins aux airs de croupiers.
Alina et Natasha se gaussent des
hipsters qui rôdent dans le centre de Moscou, feignant d'ignorer
qu'elles en sont. Apolitiques, même si au passage du Kremlin Alina
me lance : « It's here that lives our fucking P...... ».
Elle a trouvé « La vie d'Adèle » absolument dégoûtant,
« quand tu as tout vécu de l'amour avec les femmes comme moi,
tu sais que l'amour -pas le sexe, l'amour-, ça n'a rien à voir avec
cela ».
En septembre, elles ont vite été
lassées de l'énergie dégagée par les clichés du festival de
photojournalisme de Perpignan. Les images de guerre, le militantisme
n'atteignent pas l'univers où elles gravitent. Elles ont préféré,
encore une fois, tailler la route. Quelques heures d'attente de trop
peut-être pour un auto-stop et finalement Barcelone.
Bientôt Paris, comme une amante qu'on
ne quittera jamais. Je vous attends pour Cartier-Bresson.
Photos : Moscou, Natasha,
Alina, Natalia, German et Leon
Nous avions rencontré Natasha et
Leon à Tbilissi sur le chemin aller de notre périple. Pour moi
quelque part, le retour s'achève ici, à Moscou, chez elle.
Les photos qui parlent le mieux de
Natasha et d'Alina étant bien sûr celles d'Alina et de Natasha,
prises au cours de leurs nombreux voyages toutes les deux, voici ce
qu'elles ne veulent en aucun cas considérer comme des travaux de
photographes mais comme des moments immortalisés de leurs vies de
frères.
Photos : Natasha et Leon par Alina, Alina par Natasha, la chambre n°9
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