> Mercredi 9 octobre. Il y a près de 65 ans, ceux qui
pensaient détenir entre leurs mains l'avenir de la Chine avaient
franchi le détroit de Taïwan. Nous avons décidé d'en faire
autant. Notre trait d'union et leur base avancée fut Matsu.
Un archipel de la république de Chine
-ROC ou Taïwan, presque encore enclavé dans les sinuosités de la
côte du Fujian chinois. Ici comme sur d'autres îles du détroit,
les nationalistes ont affronté des décennies durant leurs frères
communistes et les îles ne furent « démilitarisées »
que depuis peu. Ne reste peut-être que l'apparat. Beaucoup de
militaires encore, mais jeunes, les derniers peut-être du service
obligatoire. Les uniformes un peu essoufflés courent en traînant
les godillots un peu partout sur les minuscules routes bétonnées de
ces cailloux maintenant ouverts aux visiteurs, vous lancent de larges
sourires, déblaient les bas-côtés, font vivre l'économie locale
en musardant le nez au vent. Dans son petit local isolé, l'un d'eux
dort à point fermés devant son arsenal de fusils d'assaut et peine
à reprendre contenance quand nous le réveillons avec nos mots
d'anglais. Partout, des casernes, des bunkers, des forts, des chars
rouillés par le vent salé.
Il nous est presque impossible de
distinguer les installations encore en activité de celles
transformées en lieux de mémoire. D'ailleurs, les deux peuvent
s'avérer ouvertes ou closes sans que l'on sache vraiment pourquoi.
Face à la côte chinoise, sur une pointe rocheuse léchée par les
franges des typhons, s'affiche pleinement l'acmé du système
défensif taïwanais au sol. Quelques pauvres canons antiaériens,
désuets, dérisoires.
Il faut dire que Taïwan ne plaisante
tout de même pas avec son armée, y consacre encore une part
relativement importante de son budget. La terre n'est simplement pas
son fort, l'île mise sur une marine sur-entraînée, même si nous
n'aurons aperçu dans les eaux du détroit aucune des fameuses
frégates.
Les quelques rares habitants de Matsu
regardent eux le temps et les embruns passer, entre jardins partagés
et barques de pêche. Le soir, la lumière irradie des salons
largement ouverts sur les rues par de larges fenêtres coulissantes,
dévoilant l'intimité familiale aux yeux des passants. Nous n'aurons
jamais su bien distinguer entre salles à manger privées et petits
restaurants de quartiers. Moments cocasses, mais les taïwanais
accueillent les intrus avec le sourire.Dans les ruelles, les minibus
de touristes remplacent peu à peu les jeeps des conscrits.
Nous rencontrons Jack et sa famille, sa
femme, deux de ses trois filles -Chantal et Kate*, et moult cousins,
oncles et tantes. Il y a trente ans, lui aussi fut appelé ici. Les
longues heures creuses lui permirent d'y rencontrer celle qui allait
devenir sa femme. Généreux, un large sourire toujours collé aux
lèvres, il nous convie immédiatement à l'anniversaire de la
grand-mère qui réside encore sur l'une des îles de l'archipel. Le
début de ce qui allait devenir l'une des rencontres les plus
marquantes de notre voyage.
*
Les prénoms sont ceux, occidentaux, choisis par eux pour faciliter
les rencontres avec les étrangers !
Photos: Dongju, Dongyin, Nangan (Archipel des Matsu)
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