mardi 10 septembre 2013

Approche lacustre












>Samedi 31 août. Vouloir entamer une pérégrination de trois jours à cheval lorsqu'on craint encore un peu sans trop y croire d'avoir été contaminé par la peste et que l'on subit à répétitions quelques menus désagréments bien connus des voyageurs relève de la gageure.

La lente déambulation s'annonce rapidement en tous points décevante. Erlan, notre guide adolescent décide farouchement de nous gratifier de son attitude la plus taciturne possible, à l'image de ces durs bergers qu'il salue à peine en route. Peut-il en être autrement en ces derniers jours de vacances perdus pour lui dans les alpages ? Le premier camp de yourtes ne tient plus que par une famille d'enfants. L'aînée, 19 ans, et ses cadets, 6, 11 et 14 ans. Deux jours après, la jeune fille ira rejoindre Bichkek, ses études de management et l'appartement qu'elle partage avec sa petite sœur de 11 ans, envoyée là-bas au collège. Son frère lui, devra rester au village, avec ses parents, la petite dernière et les bêtes de la famille. La lassitude se fait aussi piquante que le froid de la fin d'été. Trop-plein de troupeaux, ennui de ses étrangers qui ne daignent même pas parler un mot de russe, ou rancœur contre les choix parentaux qui imposent qui de la famille ira ou non poursuivre des études. Qui pourrait le comprendre ?

Au bord du lac Song-Kol, une ambiance de fin de partie aussi. Pour Romain, un nouvel accès de fièvre et une nuit d'insomnie et de malaise en fraîcheur de rive. Au réveil, l'impression que toute l'eau du lac ne pourrait suffire à noyer cette apathie.

Lydia avait quitté le Kirghizistan à l'enfance. De parents kazakh et ouzbek, née près de Bichkek, elle avait émigré avec sa famille en Allemagne. Devenue adulte et médecin, elle entend retrouver un peu de ces hautes terres de son Asie Centrale et les faire découvrir à ses amis, le couple formé par Jakob et Lena. Notre chance nous amène à croiser leur route en ce moment si fragile pour Romain. Leur enthousiasme, leur douceur, leur lumière nous réchauffent. Lydia ose à l'instant de notre départ nous glisser. « Nous croyons aux médicaments mais nous croyons aussi qu'il y a un Dieu. Voulez-vous accepter de venir dans notre yourte pour une prière qui vous accompagnera ? » Nous acceptons. Un moment rare, terriblement humain et spirituel, touchant de simplicité.

Au retour du lac vers la ville la plus proche, Kochkor, encore une chance. Le seul véhicule qui daigne nous convoyer traîne déjà deux larges remorques de charbon, en provenance de la plus grande mine de charbon du Kirghizistan, la toute proche Kara-Keche, avec ses 2,5 milliards de tonnes de réserves et ses enjeux géopolitiques. A notre « Kochkor ? », son conducteur nous rétorque laconiquement, « Da ». Nous n'entendrons dès lors plus sa voix des trois heures qu'il nous faudra pour parcourir les quelques soixante kilomètres qui nous séparent de la bourgade. Toute son attention se fera captive de ces crevasses sur l'asphalte comme autant de périls pour son camion KamAZ qui semble déjà avoir achevé une vie précédente à l'époque de l'effondrement soviétique. Un peu incrédules, nous attaquons le col de plus de 2600m. Le levier de vitesse s'enraye et pourtant l'on grimpe. Des bas-côtés montent des regards admiratifs de bergers assis sur leurs talons et dont c'est là l'attraction de la journée. On ne peut s'empêcher de ressentir un peu de fierté, bien peu méritée, à faire partie d'un tel convoi. La descente s'effectue à peine plus vite, le temps pourtant pris d'ôter du jeu double des pneus arrière une énorme roche glanée en cours de route.

Photos : Lac Song-Kol, Lydia, Lena et Jakob

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