> Jeudi 13 juin. En route, le hasard tient lieu de
boussole. Il suffit d'une rencontre fortuite pour explorer les
traverses et s'exposer, plus qu'imaginé, aux rugosités
insoupçonnées d'un pays, à ces aléas qui nous attendent aux plis
d'un chemin, à des plaisirs qui ne s'offrent pas au premier sourire
aussi.
Nous avions rencontré à Ploviv Elina.
Tout est sans doute parti de là. D'un voyageur-historien bien
informé aussi, croisé à Belgrade. L'une nous a recommandés à une
amie d'Izmir, quand l'autre nous mettait sur la piste du consulat
iranien de Trabzon. Notre route turque qui devait sur le papier
emprunter une diagonale ferroviaire Istanbul-Ankara-Van s'est offerte
à la divagation.
Istanbul-Izmir
A Izmir, quelques
tentes de soutien à Gezi, le long du Kordon, croisette interminable.
Au bazar, Taco nous aborde. Il lui manque l'essentiel de ses dents,
pourtant son sourire accroche. Taco a appris les langues avec les
voyageurs de passage, ceux qui prennent le temps de se perdre dans
cette ville d'Izmir étouffante au premier regard. Il travaille
quelques jours par semaine dans une usine de fabrication de
narguilés, vit dans un hôtel à Izmir le reste du temps. Ses
enfants sont adultes, peut-être ne les voit-il plus. Il y a quelques
années, le tabac lui a enlevé son dernier amour, une française,
Marie-Annick. Ce nom revient souvent dans la conversation, nostalgie
infinie des paradis perdus. Ils sont des millions les Tacos, les
aurions-nous seulement croisés ailleurs qu'à Izmir ?
En couchsurfing,
les gens que nous rencontrons nous ressemblent. Que nous le voulions
ou non, nous sommes des bourgeois et les réseaux sociaux en sont
l'Internationale. Partout, ils nous tendent un miroir, avec une
petite couleur locale. Il y a à cela un confort indéniable, la
reconnaissance immédiate, une porte d'entrée aisée dans une
nouvelle culture. Il serait malvenu de ne pas l'admettre.
A Izmir, Sinem,
amie d'Elina et adepte du couchsurfing, nous offre le canapé. Elle
finit son internat de psychiatrie. L'an prochain elle sera peut-être
envoyée pour quelques années en « service obligatoire »
dans l'Est du pays qui manque de médecins. Une condition à
l'obtention de son titre. La Turquie applique donc cette formule
hautement décriée en France par les praticiens contre les déserts
médicaux, sans contre-partie aucune en terme de rémunération ou
d'aide à l'installation. De Sinem, nous garderons le flamboiement
d'une chevelure, un rire franc et déployé, une voix et quelques
roucoulements de violon.
Photos : Izmir, Sinem et une amie
Partagez avec nous l'ambiance musicale d'une soirée à Izmir
Photos : Izmir, Sinem et une amie
Partagez avec nous l'ambiance musicale d'une soirée à Izmir
Izmir-Trabzon
Des ruines
d'Ephèse, nous rejoignons les concrétions de Pamukkale et la cité
antique d'Hierapolis. Un coup d’œil bien trop bref entre deux bus
avant d'avaler 1200 km en 19h. La traversée de l'Anatolie n'est pas
mixte. Lui dans une rangée du bus avec les hommes, elle dans
l'autre. Dix-neuf heures de silence à regarder le bitume et les
collines engloutir le temps.
Trabzon nous semble
triste. Une ville côtière grise qui tourne le dos à son rivage et
développe surtout une activité de tourisme de prostitution à
destination de Russes en mal d'exotisme. Puis, nous n'obtenons pas
notre visa iranien comme espéré. Hassan Rohani a été élu deux
jours avant notre demande, cependant les procédures d'obtention de
visas restent gelées jusqu'en juillet.
Photos : Ephèse, Pamukkale
Photos : Ephèse, Pamukkale
Ayder
Nous
poussons jusqu'au massif des Kaçkars, en retrait de la mer Noire.
L'occasion pour nous d'arpenter de hauts pâturages à près de 3000m
et d'approcher les sommets. La route qui s'encaisse de la mer aux
gorges sillonne à travers de luxuriants versants humides couverts de
plantations de thé. A l'arrivée à Ayder, village réputé pour son
miel aux vertus miraculeuses à 60 euros le kilo, un turc exilé en
Allemagne nous entraîne dans une petite pension tenue par une
maîtresse-femme, Meryem. Nous y serons bien roulés de quelques sous
mais la rencontre en valait certainement le poids du métal.
A
défaut d'être allés au Kurdistan, nous séjournons au Semih
Pansiyon en même temps qu'un
charmant couple de kurdes de Doğubeyazıt en
voyage de noces, Mehmet et Nezihe. Chaque soir, Meryem et ses amies
nous entourent au coin du poêle. On y coud des breloques sur des
voiles, on y tricote d'épaisses chaussettes de montagne, on y
prépare des onguents pâteux et surtout, surtout, on y passe des
heures sur Facebook. L'arrivée de notre ordinateur insuffle une
bouffée d'oxygène à ces incorrigibles bavardes qui ne se lassent
pas de nous faire partager leurs innombrables photos en ligne. Elles
et leurs enfants bébés il y trente ans de cela, elles jeunes filles
sur des clichés aux couleurs perdues, elles aux quatre coins de la
Turquie...Facebook a ainsi trouvé un nouvel usage chez un public
insoupçonné. Il a remplacé les poussiéreux albums de famille que
l'on feuillette au coin du feu.
Photos : Ayder, Mehmet et Nezihe, Meryem et Aysel, Yukari Kavrun
Photos : Ayder, Mehmet et Nezihe, Meryem et Aysel, Yukari Kavrun