> Mercredi 11 septembre. Passer dans le Xinjiang se fait sans
heurt culturel pour le voyageur ayant arpenté l'Asie Centrale. Cette
nouvelle frontière pour les chinois Hans se marierait certes bien
avec ses voisins. Notre œil novice a vu beaucoup de l'Ouzbek en
l'Ouïghour. Même habitat de pisé au cœur d'une oasis en plein
désert, même goût du mouton, et jusqu'à ce couvre-chef octogonal
maintes fois aperçu dodelinant au-dessus d'un pas nonchalant.
Qu'en ont-ils fait les Hans, qu'en
imaginent-ils de ces minorités qu'ils se vantent de préserver à
grand coups de discrimination positive et d'exception à la règle de
l'enfant unique ? Les Ouïghours semble-t-il il y a trente ans
lisaient en alphabet latin. Un avantage trop certain dans
l'apprentissage de l'anglais. Il aura donc fallu leur demander
dorénavant d'écrire en arabe. Une situation ubuesque, symbole de la
peur de l'autre et de ses atouts, peut-être. L'heure, loin s'en
faut, n'est pas à l'autonomie et un « Ouïghourstan »
restera sans doute une chimère. La vieille ville de Kashgar vit ses
dernières heures, camp retranché en territoire colonisé de
gratte-ciels et de barres de béton.
Deux visions pauvres en nuances, outils
de propagande, s'affrontent dans l'imaginaire des puissants. Celle
d'un Ouïghour terroriste et celle d'un peuple à la frange de
l'exotisme, image d'Epinal digne des colonies, chatoyant folklore
édulcoré. Juste avant notre passage, quelques jeunes hommes
ouïghours avaient attaqué un commissariat de village. Une réaction
possible à maintes provocations des forces de l'ordre. Dernière en
date, un couple de vieillards humilié, foulard arraché pour la
femme, barbe rasée pour l'homme. Une vengeance terrible, un massacre
certain, violent, à l'arme blanche. Partout dans les gares,
s'affichent encore les avis de recherche les concernant. Des visages
juvéniles, si semblables à ces milliers de visages que nous avions
croisés pendant deux mois. Presque de sérieux visages d'écoliers
dont les lignes ne trahissent pas encore le désespoir qui a pu les
conduire à franchir une si dramatique ligne.
Ailleurs, dans des parcs sécurisés et
hors de prix, pour les milliers de visiteurs Hans aisés attirés par
leur Far West, ces mêmes minorités d'ascendance centrale asiatique,
Ouïghour ou Kazakh, prennent un tout autre visage. Celui, blasé, de
la représentation. Pour les autorités, il faut bien sauver l'image.
Et créer l'illusion de l'union nationale.
Photos : Kashgar, Urumqi